Assise par terre, je ne pouvais détourner le regard de ce que je venais de trouver. Des larmes coulaient sur mes joues, mes petites joues rougies par un sentiment de colère, mélangé à celui de la tristesse. Croyez –moi, les deux ne s’accordaient pas à la perfection. Je m’étais déjà imaginé cette situation des centaines de fois, mais en fin de compte, je prétendais ne rien savoir et que tout était aussi faux que les sourires que mes parents m’avaient adressé jusque-là. Les gens que j’aimais et qui prétendaient être de grand directeurs d’hôtels quelconques n’étaient que des monstres. Je me souvenais parfaitement de toutes les fois où j’avais répondu fièrement que mes parents étaient les directeurs de grands hôtels lorsque l’on me questionnait sur leur métier. Et j’avais menti sans m’en rendre compte. Ma vie se résumait à un mensonge. Je n’arrivais même pas à déterminer si je leur en voulais de faire partie de ces monstres, ou si c’était parce qu’ils m’avaient caché la vérité. Et moi, idiote que je suis, j’ai préféré les croire. Mais je n’étais pas si coupable que je le pensais. Qui douteraient de l’intégrité de la famille Armani, l’une des familles les plus riches de Sicile et des plus respectées ? Personne.
Pendant que mes larmes s’estompaient au fur au fil des secondes, quelque chose me fit sursauter. Ou plutôt quelqu’un. Mon père entra dans sa chambre, et regarda le tiroir ouvert et me jeta un regard à la fois noir et désolé. Il s’approcha doucement de moi, comme s’il approcherait une bête non-apprivoisée. Je me sentais de moins en moins importante à ses yeux et pourtant, il voulait me convaincre du contraire, rien qu’avec sa manière de me regarder. « Ivy, ma chérie, je… » « Tais-toi ! Je ne veux plus entendre parler de toi, ni de maman. Pendant tout ce temps, j’ai essayé de me convaincre que vous n’en faisiez pas partie, mais je me trompais. Vous êtes des monstres. » « Je t’interdis de me parler sur ce ton ! » Sa voix glaciale frappa, et je n’eus pas d’autre choix que de me taire. Il se forçait à être dur mais il ne voulait pas l’être. Les larmes redoublèrent, puis, il vint s’assoir à côté de moi, après avoir pris ce qui se trouvait dans le tiroir. Je me mis à trembler comme une pauvre fille trop faible surmonter la situation. Cette fille, ce n’était pas moi. J’avais toujours été forte quoi qu’il arrive, mais à cet instant, je n’y arrivais pas. Pourtant, j’avais surmonté la mort suspecte de mon petit frère, la dispute avec ma meilleure amie, les humiliations. Je fusillai mon père du regard. Dommage que ça ne suffisait pas pour le faire disparaître. Lui était calme, comme s’il s’était depuis longtemps préparé à la situation. Quel brave homme. « Tu sais, je comprends ta réaction. Mais je suis persuadé que tu changeras d’avis. Depuis toujours, j’attendais le moment où tu serais assez grande pour comprendre et nous rejoindre. J’avoue que quinze c’est peut être jeune pour entrer dans la mafia, mais nous n’avons plus le choix. » La mafia. C’était encore pire de l’entendre. Ce mot me frappait le cœur comme une bat de baseball. Il voulait que je devienne comme lui, comme eux, un monstre. « Il en est hors de question ! » « Mais tu n’as pas le choix, ce n’était pas une question. » Il se leva et partit, claquant la porte derrière lui. Je n’arrivais pas à y croire. Ma vie avait été si parfaite jusqu’à présent. J’avais tout, absolument tout pour être heureuse. Des amis, de la famille qui m’aimait, de l’argent, une bonne éducation, une amourette sans importance, absolument tout. Mais ma vie prenait un tournant bien différent.
Je me suis relevée, séchant mes larmes. Ces pleurs, ce n’était pas moi. Tout le monde admirait ma grande capacité à être forte. Si je devais faire partir de ces pourris, je le ferais. Les sacrifices ne me faisaient pas peur.



Boire un martini sur une terrasse d’un des bars les mieux quottés de Sicile, il n’y avait rien de mieux. Je regardais la mer, si calme et pourtant si belle, perdue dans mes pensées. Je me rappelais des jours où je venais ici quand j’avais quinze ans, je prenais un simple café avec la même bande d’amis. Rien n’avait changé, si ce n’est que nous avons troqué nos cafés au lait contre des martinis. Autre chose avait peut être changé, moi. Je n’étais plus la même qu’il y a quatre ans. Tout le monde disait que j’avais mauvais caractère, que mon cœur s’était durcit même si je m’attachais toujours aux gens, et que je semblais encore plus forte qu’avant. La mafia m’avait changée, maintenant, je faisais partie des leurs. Au début, la situation était très difficile pour moi. En plus d’avoir peur, je me suis joint à eux à contre-contre. Puis je me suis plutôt bien intégrée. Mon père étant haut placé dans la mafia, j’étais plutôt respectée. Là-bas, on m’a tout appris. Comment enquêter sur quelqu’un, marchander, tricher, voler, séquestrer, tuer, manipuler, tout. Et puis, j’ai enchaîné quelques petites missions. Jamais je n’aurais cru que tout ça me plairait. Même si je suis plutôt réticente à mettre fin à la vie de quelqu’un, je me débrouille pas mal au niveau des magouilles. La dernière fois, j’ai ruiné un homme d’affaire. Il doit certainement être en train de dormir sous un pont, pauvre de lui. Bref, c’était cruel et je le savais. Mais je me rassurais en me disant que j’étais toujours capable d’aider mes amis quand ils avaient des problèmes et de les aimer même si je leur mentais. Après tout, même si la mafia occupait une majeure partie de mon temps depuis quatre ans, je trouvais toujours du temps pour les voir.
Je reçu une serviette en papier sur la tête, serviette qui eut le don de me sortir de mes pensées. « Ivy, réveilles-toi ! Alors, tu te déguises en quoi à la soirée de samedi, en sorcière de Blanche Neige ? » Je lui balançai la serviette qu’elle venait de me lancer, suivie d’une autre. A mon avis, ils étaient tous dans le même cas que moi il y a quatre ans. Soit ils se doutaient de quelque chose mais refusaient de l’admettre, soit ils faisaient semblant de ne pas savoir. L’important, c’était qu’ils se taisent, sinon, amis ou pas, ils y passeraient. Bref. J’eus un petit rire avant de finir mon verre d’une traite et de me lever. « Tu pars déjà ? » « Oui, je suis désolée, mais j’ai promis à mes parents que j’irais les aider. » Isabella me fit un sourire remplit de jalousie, Calliope soupira et Sergio fit une moue triste mais si craquante que j’avais presque envie de rester. « Je reviens vous voir dès que j’ai fini. » « T’as plutôt intérêt, mais c’est une chance de pouvoir travailler dans un hôtel avec mes tes parents. » Une chance oui, même si ce n’était pas dans un hôtel. Je fis la bise à tout le monde avant de partir. Marchant au bord du sable, je sortis une adresse de ma poche. Monsieur Battaglia n’allait pas bien dormir cette nuit. Un sourire cynique aux lèvres, je passai devant sa maison qui heureusement se trouvait à quelque pas du café. Avant de pousser le portillon, j’aperçu Tonio au coin de la rue, qui me faisait signe. Je lui fis un joli sourire, l’un de ceux qui disent de me foutre la paix. Sacré Tonio, quelque chose me disait que la mafia en aurait vite marre de ses services. Après un long soupire, j’ai sonné à la porte et sortis un calepin qui allait faire office de bons de commande. Elle s’ouvrit plutôt, à mon grand bonheur. « Bonjour monsieur, je vends des fleurs pour un voyage scolaire, êtes-vous intéressé ? » Un beau sourire charmeur suffit à me faire entrer. Le pauvre, il regretterait vite d’avoir voulu acheter des fleurs pour son jardin hideux.


Trois ans. Cela faisait maintenant trois ans que j’avais quitté la Sicile pour venir m’installer ici. Ma famille me manquait, tout comme mes amis et ma vie là-bas. J’avais tout, absolument tout pour être heureuse. J’étais populaire que ce soit au sein de mes amis, des autres, et aussi de la mafia. J’étais respectée et vue comme une figure emblématique. Mes collègues m’adoraient, tout comme je les adorais. Mais ils me craignaient certainement parce que j’étais la fille du grand patron. Maintenant, tout était différent. J’avais dû venir ici pour propager un peu le nom d’Armani dans le monde de la mafia. Au départ, tout se passait très bien. Je me suis très vite intégrée et ma cote de popularité a monté en flèche. Je me plaisais bien ici, jusqu’à ce que le patron se fasse assassiner et qu’un abruti prenne sa place. Ma popularité est donc bien redescendue. Un long soupire m’envahi, long soupire qui eut le don de me vers renverser mon café. « Félicitation Ivy chérie. Vraiment, tu es sans doute la plus maladroite de l’équipe. » Non, impossible. Il ne pouvait pas être là et ne pouvais pas venir me déranger même quand je buvais un café. A croire qu’il m’avait entendu penser à lui en tant qu’abruti à la tête de la mafia Napolitaine. Je lui aurais bien dit qu’un chef de la mafia n’avait rien à faire là, mais non, je tenais à ma vie, mais s’il me la pourrissait depuis quelque temps. Je ne lui répondis pas, histoire de ne pas l’insulter et voir me faire descendre plus bas que terre. Je le regardai simplement s’assoir en face de moi, et appeler le serveur. Il commanda deux whisky, après avoir lâchement regardé le serveur nettoyer la table. « T’es pas bavarde, ma belle. » Encore une fois, je ne répondis pas. Si seulement mon père pouvait lui tirer un balle dans la tête et l’envoyer six pieds sous terre… Il faut dire que de sa faute, j’étais la risée de la mafia. Passer du sommet au plus bas, c’était plutôt difficile, surtout pour moi.
Le serveur arriva enfin, les whisky sur son petit plateau. Je poussai le mien vers Adriano, ne comprenant pas pourquoi il voulait m’offrir un verre. « Non, merci. » Il eut un de ses sourires moqueurs que je détestais par-dessus tout, un de ceux dont il fallait vraiment se méfier. « Chérie, je savais que tu étais faible, mais l’être au point de ne pas pouvoir boire un verre de whisky, je ne peux pas l’accepter. Soit tu bois, soit tu nous quitte. Mais tu sais très bien ce que ça veut dire… » Evidemment que je le savais. Il me faisait souvent ce genre de chantage, simplement parce qu’il voulait que je m’en aille ou qu’on me rejette. Mais dans ce cas, je n’avais plus qu’à prier pour que personne ne me retrouve jamais. Je pris donc mon verre et le bus cul-sec, sans en laisser un goutte. Il gardait toujours son petit sourire insupportable, et en commanda quatre autre. « Bois, et vite. » Et je m’exécutai. J’ignorais simplement pourquoi il était ma plus grande faiblesse. C’est vrai quoi, il n’y avait que devant lui que j’étais si vulnérable.
Je finis le deuxième verre, puis le deuxième, et le troisième. Si ça continuait comme ça, j’allais faire une overdose de whisky. Je bus le quatrième verre non sans mal, et le reposai sur la table. Puis, je l’ai regardée avec un regard tout aussi foudroyant que le premier. « Qu’est-ce que tu veux à la fin ? T’en as pas marre, sérieusement, change de victime, tu deviens pathétique. » Son sourire disparu, signe que la fureur montait en lui. Il n’avait pas apprécié ce que je venais de lui dire, dommage. Il se leva brusquement. « Viens avec moi. » De plus en plus mauvais. Je crois que je venais d’atteindre le sommet de sa haine envers moi. Je pris mes affaires et le suivit. Nous avons marché jusqu’à une petite ruelle sombre, une de celles où la mafia poignarde les traitres et s victimes. Il attendit peu de temps avant de sortir son couteau et de me pousser contre le mur. Le pire dans tout ça, c’est que même si j’avais voulu, je n’aurais rien pu faire. Il me mit son couteau sous la gorge et me regarda droit dans les yeux pendant quelque secondes. « Vas-y, qu’est-ce que t’attends. » Ses yeux s’assombrirent par une fureur de plus en plus ardente. Soudain, il recula d’un pas, rangea rapidement son couteau et s’enfui, furieux à en être presque hystérique. Rassurée de ne pas avoir vu ma dernière heure venue, je me dirigeai sur le chemin de la maison, l’alcool dans les talons.